Un borgne en goguette

Nicolas était résolument royaliste. Ou du moins il l'était jusqu'au début du mois. A présent que la Castelmaure accablait le trône de son séant, il était plus enclin à utiliser le néologisme de "couronniste" pour se définir. Entre ces deux états demeurait une constante : il n'aimait pas les Bretons. Ces gens-là, c'était magouille et compagnie, hospitalité pour les brigands, création du Ponant... bref, il n'avait aucune raison de les aimer. Sauf quelques-uns de leurs sympathiques représentants, à la rigueur. Dont il avait reçu une invitation pour le sacre du Grand-Duc.

Ne pas se déplacer à Reims pour voir le sacre d'une Reyne qu'il méprisait, mais aller jusqu'en Bretagne pour le couronnement du souverain du vieil ennemi... le symbole lui plaisait bien. C'était donc ce qu'il avait fait. Et maintenant qu'il faisait face au château de Nantes, il ne le regrettait pas, l'ironie de la situation causant même son petit sourire caractéristique. Il s'annonça en donnant de la voix, comme cela semblait être l'usage devant tous les corps de garde du monde.

Holà, vil Breton !

Hum... il y avait peut-être plus approprié comme entrée en matière.

Holà, du château, pardon. Je suis Nicolas de Firenze, et j'ai été invité au sacre d'Elfyn de Montfort par Son Altesse Marzina de Montfort... on m'a dit de me présenter ici pour être conduit à la cathédrale. Je suppose que c'est cette grosse chose romane, là-bas ?

Marzina était en train de se détendre. Tous les invités étaient déjà arrivés, le temps que son père se prépare et se traine jusqu'à la cathédrale, elle pouvait bien se jeter un verre ou deux de chouchen...On ne perd pas les ~~bonnes~~ habitudes...Elle savourait donc ce moment de sérénité et de calme, quand on frappa à sa porte. Quelle idée d'arriver à cette heure? Ça ne pouvait être qu'un françoy pour avoir autant de culot! Et en effet, lorsqu'elle demande derrière la porte:

"Qui est arrivé cette fois?"

Le garde lui répond d'une voix un peu gênée, et surtout, étouffée par la porte:

"Un homme sans blason Votre Altesse, il n'est point breton, et il dit avoir été invité par vous..."

Marzina regarde le liquide qui accroche la lumière dans son verre, d'un air songeur, le sourire malicieux, elle demande:

"A-t-il dit comment il se nommait?
- Oui Votre Altesse, Nicolas de Firenze."

Le sourire s'élargit, la princesse se lève, attend que sa gouvernante la couvre de son manteau d'hermine, et puis descend au dehors sans se presser. Arrivée dans la Cour, elle fait un petit signe dédaigneux de la main aux gardes afin qu'ils le laissent entrer, et vient à sa rencontre. Elle lui fit une charmante révérence, et avec son sourire aguicheur.

"Degemer mat Breizh messire...chef."

Elle sourit, amusée par la situation. Et puis elle ajoute, joueuse, mais beaucoup plus bas:

"Vous n'avez pas amené votre badine au moins?"

Clin d'oeil de la princesse, accompagné d'un petit rire amusé.

La fortune souriait aux gens mesquins. Non seulement il était au sacre breton et pas au français, mais en plus, il était accueilli par une princesse, excusez du peu. Enfin techniquement, il avait d'abord été accueilli par deux gardes mal rasés que l'épithète "vil" semblait avoir plus ou moins agacés. Cet agacement était pourtant une chance, car sans lui, il aurait été peu probable que l'un des rustres soit allé vérifier ses dires auprès de la principale concernée, à savoir l'incendiaire et sus-citée Marzina de Montfort, joyau de la maison grand-ducale.

Il s'empressa de descendre de Nébiros, et à la révérence de son hôtesse répondit une extravagante courbette florentine, que l'Italien réservait aux jolies femmes. Car c'est ce que la jeune blonde devenait hors des locaux de l'AAP... elle l'était également dedans, évidemment, mais il n'y avait rien de pire que donner matière à jaser à quelques dizaines de journalistes. Et ses sourires aguicheurs y suffisaient probablement sans qu'en plus Nicolas n'aille y répondre, ce dont l'envie ne lui manquait pas.

Votre Altesse... le modeste roturier étranger que je suis... enfin disons, le roturier étranger que je suis est flatté par cet accueil princier.

Sérieux comme un pape, il ajouta un ton en-dessous, après s'être légèrement penché vers elle dans un but évidemment purement acoustique :

Ma badine ne me quitte jamais. Elle est utile dans tout un tas de circonstances...

Il s'abstint du clin d'oeil, d'une part car le sous-entendu n'échapperait probablement pas à une jeune femme aussi libérée, et d'autre part car depuis qu'il était borgne, il n'y voyait plus rien lorsqu'il en faisait un.

Me ferez-vous l'honneur de m'escorter jusqu'à la cathédrale, ou vais-je devoir risquer ma vie dans des rues pleines de Bretons vindicatifs sans votre altier patronage ?

On voulait de la distraction au sacre du Roué hmm ? On voulait un peu d’action à la bretonne ? Son Altesse Riwan était arrivé avec son costume de deuil accompagné d’une traitresse ? Qu’à cela ne tienne ! Marzina avait couché avec un royaliste pendant le sacre, et elle ramenait un anti-breton issu de la roture ! C’est à se demander qui ferait le pire…
Sans se départir de son sourire, la princesse répond :

« Flatté dites-vous ? Voyons voyons…c’est vous qui me flattez… »

Elle feignit l’indignation lorsqu’il l’informa de la présence de la badine.

« Je crains que vous ne deviez vous en séparer à l’entrée de la cathédrale, on pourrait croire que vous prévoyez un attentat sur ma personne… »

Et alors qu’il se penchait, elle jette un œil sur un petit artifice qu’il porte, et qui attire son regard justement. Elle a de l’humour, la blonde princesse, ca doit être son coté Montfort, sûrement. Eludant sa dernière question donc, elle lui désigne du doigt la médaille en question :

« C’est fort peu esthétique cette petite broche que vous portez là…Est-ce là de l’art françoy ? Si vous vous intéressez un peu à l’art, je pourrais vous montrer quelques œuvres d’art à nous du même genre…Des haches de guerre bretonne de 1456 mises de coté par Sa Majesté mon père pour les grandes occasions, il y a encore le sang françoy dessus, c’est de l’art moderne breton, je trouve ça magnifique… »

Sourire sadique de Boucles d’Or. Pacifiste ne veut pas dire que cela l'empêche d’embêter un peu les gens hmm ? Et elle finit par répondre, finalement, à sa dernière requête :

« Je me vois au regret de vous informer que la simple robe que je porte actuellement n’est assurément pas ma robe de sacre, et ce petit diadème n’est certes pas ma couronne…Je dois encore me préparer, aussi je ne puis me présenter en cet état à la cathédrale. Soit vous m’attendez le temps que je me prépare, et je puis vous assurer que ca va être long, ou vous partez devant, le chemin n’est pas difficile, on voit la cathédrale d’ici, il n’y a qu’à suivre les acclamations…En plus, je suis sûre que l’Ordre des Trente, soit la garde grand-ducale, dont fait partie mon cousin Maël le mestre de guerre, sera très intéressé par votre petite œuvre d’art…il aura sûrement envie de vous montrer sa belle bastarde à cette vue…un grand amateur d'art lui aussi. »

Et elle lève ses yeux insolents vers l’unique œil du rédacteur en chef (non non, elle louche pas, c’est une princesse voyons !). Princesse oui, hôtesse oui, bretonne oui, mais marzinesque avant tout…

Un attentat à la badine sur une princesse... et en public, avec ça ? L'idée n'était pas déplaisante, il faudrait qu'il la creuse à l'occasion. Accomplir son forfait au milieu de nombreux gardes Bretons ne semblait toutefois pas la meilleure idée du monde, car ils pourraient se méprendre sur ses intentions et le débiter en tranches avant que ses explications ne pénètrent leurs crânes épais. Ne disait-on pas "Con comme un Breton" ?

La blondinette avait déjà sauté sur le sujet suivant, et il se fit un plaisir de saisir la perche qu'elle lui tendait sans le savoir.

En fait non, votre Altesse. Navré de prendre votre éducation en défaut ! Le blanc et l'indigo sont les couleurs du Marquisat des Alpes Occidentales, et la couronne, ici, est son symbole. J'ai reçu cette croix de la part de la Marquise Hersende de Brotel pour mon engagement en la faveur de son Etat lors de l'invasion française d'il y a un an. Deux de vos compatriotes ont également été décorés à cette occasion... Myrlin et Albatrus, je suppose que vous connaissez ?

Narquois, l'Italien ? Non, jamais. Surtout pas avec les jeunes femmes. Enfin si, souvent... et en particulier avec les jeunes femmes, certes. Mais c'est quoi qui raconte, permettez ? Il répondit à son regard impudent, qui aurait bien mérité un coup de badine s'ils avaient été à l'AAP, avec son sourire en coin le plus ironique, et chassa ses objections d'un petit mouvement de la main.

Je connais la durée de préparation d'une demoiselle moyenne, ne vous en faites pas. Je suppose qu'en multipliant par deux pour vous, j'aurai une bonne idée du délai. Cela dit, vu l'état d'avancement de la matinée, vous ne disposez probablement pas de plus d'une heure ou deux si vous ne voulez pas manquer la cérémonie... je dois pouvoir patienter jusque là. N'en déplaise à votre cousin et à sa bâtarde. Nous n'aurions de toute façon pas grand chose à nous dire, j'affectionne plutôt la rapière. Quant à ses compagnons, qui ne sont sûrement pas vingt-neuf, je me passerai de faire leur connaissance. J'espère que le sacrifice vous touche ?

Garde d'honneur ou pas, ils n'étaient probablement pas plus chaleureux que les autres, voire même moins. Et comme Nicolas ne connaissait personne dans cette contrée barbare, il préférait admirer un peu les murs en attendant Marzina que traîner sa solitude à la cathédrale. Pourquoi avait-il accepté de venir, déjà ? Ah oui, pour le symbole. Bon.

Marzina jette un autre regard à la médaille. Certes elle ne sait pas ce que c'est, elle n'est encore que débutante à son poste, mais elle s'en sortirait façon Marzina, elle était rodée sur ce plan-là. Petite grimace, oeil suspicieux, et elle répond:

"Ah oui vraiment? Ca ne change pas ce que j'en pense, les couleurs jurent horriiiiiblement...Myrlin et Albatrus? Certes! Ces noms ne me sont pas inconnus, mais ni l'un ni l'autre n'étant arrivés, nous ne parlerons pas des gens absents, ce n'est pas gracieux, même si les absents ont toujours tort..."

Manœuvre habile de la blondinette, qui trouve toujours le moyen d'avoir le dernier mot, mais également de mettre la faute sur le dos des autres. Elle avait déjà suffisamment d'ennuis comme ça avec le papou en ce moment, et risquant d'en avoir avec le "soupape", elle n'allait pas en plus s'en attirer de la part d'un aveugle et d'un Guérande, ca ferait tache. Mais c'était vieux tout ca, place à la jeunesse, ABBA les râleurs, fais bouger la Bretagne qui est en toi yeah! Ah non, c'est pas encore l'heure, zut alors, de revenir sur la situation présente en mettant de coté la Dancing Queen dans sa tête pour un moment, Marzina écoute sa réponse, nullement surprise, et avec un sourire sibyllin, lui répond:

" Très bien si c'est ainsi, je vous accompagnerais jusque devant la cathédrale. Je devrais vous laisser sur la place afin de rejoindre Sa Majesté mon père et Son Altesse ma soeur afin d'effectuer l'entrée comme le prévoit l'organisation de ce jour particulier. J'espère que vous ne vous perdrez pas trop sur cette place pendant les quelques pas que vous devrez faire pour entrer...Mon invitation vous permet de prendre place à l'intérieur de la cathédrale, dans les rangs du fond près des membres non-nobles de ma famille."

Son regard noir abyssal brille de la lueur de malice qui la caractérise, alors qu'elle conclut:

"Sacrifice dites-vous? Dans cette histoire, ce sont tous les autres qui font sacrifice et non pas vous, ils doivent renoncer à ma charmante personne pour guider leurs pas...et seul Doué sait combien d'entre eux auraient été honorés de vous remplacer...Et maintenant si vous le voulez bien, je vais aller me préparer, je vais bientôt devoir entrer à mon tour dans la cathédrale, et ce genre de journée ne se produisant qu'une fois dans une vie, je tiens à être à l'apogée de ma beauté..."

Elle amorça donc le mouvement vers ses appartements, demandant aux quelques valets jamais très loin de sa personne de préparer quelques rafraichissement à son invité pour le faire patienter dans l'un des salons privés du château, pendant qu'elle finirait de se préparer.

Il avait toujours de quoi écrire sur lui, pour cause de déformation professionnelle. Il nota donc scrupuleusement une version totalement fausse des propos de la jeune blonde : "Myrlin... raconte... toujours... n'importe... quoi... et... n'est... jamais... là". Cela pourrait toujours servir dans le cadre d'une opération ultérieure de chantage éhonté. Pour réclamer une meilleure place que "dans les rangs du fond", par exemple... non mais sans rire. La dernière fois qu'on avait fait mine de lui donner une mauvaise place, c'était... pour l'anoblissement des soeurs infernales du Périgord. Dès qu'il avait commencé à griffonner furieusement avec un air mauvais, la Comtesse l'avait assis près d'elle en redoublant de gentillesse. Peut-être pourrait-il reproduire cette technique éprouvée ? Pour l'heure il s'agissait d'être reconnaissant.

Croyez bien que je suis sensible à l'honneur que vous me faites... oserais-je ajouter que la déception de tous ces autres que vous mentionnez n'est pas étrangère à mon plaisir ? Quant à votre beauté, je doute qu'elle puisse être resplendissante, mais je ne demande qu'à être détrompé. Je vous attends donc.

Et de s'exécuter tandis que la belle tournait les talons. Un valet l'invita à le suivre dans un petit salon où on lui servit à boire, de ce qu'il devina être du chouchen. Pas mauvais, même si ça ne valait pas un bon chianti... il se perdit dans ses pensées en faisait tourner le liquide dans le verre, prenant une gorgée de temps en temps. Ses nouvelles résolutions étaient trop récentes pour qu'il ne revienne dessus en tentant sa chance avec la Bretonne... des catins, et uniquement des catins, il essaierait de s'y tenir pour ne plus risquer de complication. En sus, elle était princesse, et lui rien du tout. A l'occasion il faudrait peut-être qu'il se dégote une baronnie, cela aidait sûrement dans ce genre de cas.